Victoire

Victoire Précédé de La Guerre des Juifs

Traduit du polonais par Laurence Dyèvre

Victoire et La Guerre des Juifs sont plutôt des textes anti-victoire et anti-guerre : il n’est pas plus question de combat que de joie célébrant la victoire. C’est une guerre sans armes, une guerre des désarmés, dont les soldats sont les femmes et les enfants. La victoire, elle, se célèbre dans des maisons vidées, pillées, occupées par de nouveaux habitants, et les chants qu’on y entonne sont des oraisons funèbres pour pleurer les morts que l’on commence tout juste à dénombrer.
Le récit, situé pendant la seconde guerre mondiale, est conduit par un enfant et ce regard étonné, sans perspective historique, qui enregistre la réalité comme une pellicule photographique, constitue toute l’originalité de ce texte. C’est le drame d’un enfant qui apprend la vie, qui apprend à être dans des circonstances où tout le force justement à ne pas être.

À propos

Les éditions Folies d’encre, installées à Montreuil et très discrètes (elles n’ont pas semble-t-il de site Internet), ont réédité en début d’année (après California Kaddish en 2007) deux récits exceptionnels, sous le titre de Victoire [*], de l’écrivain polonais Henryk Grynberg, né en 1936 à Varsovie et réfugié aux États-Unis depuis 1967. Victoire précédé de La Guerre des Juifs (en 1994, les éditions Balland avaient préféré La Guerre des Juifs suivi de Victoire) regroupe en effet deux récits qui se complètent et se comprennent absolument l’un avec l’autre, l’un paru en Pologne en 1965 et l’autre publié en exil en 1969 (en l’occurrence, d’ailleurs, à l’Institut littéraire polonais du Mesnil-le-Roi, en France, dans la région parisienne).

Le premier, La Guerre des Juifs (Żydowska wojna, que l’on pourrait traduire avec autant d’ambiguïté La Guerre juive), raconte ironiquement la guerre vécue par les juifs en Pologne et est un hommage bouleversant à ses parents (les deux parties s’intitulent Mon père et Ma mère) qui ont tout fait pour survivre, dans des conditions terribles, au désastre de la guerre et à l’antisémitisme épouvantable des Polonais.

La partie consacrée à son père évoque essentiellement la campagne, où ils vivaient, et la quête incessante de cachettes (dans les bois, dans des granges, chez des fermiers…), la plupart du temps moyennant finances (il a « placé » son argent et ses biens chez différentes personnes) et toujours à la merci de trahisons mortelles (les exemples abondent) et de fuites continuelles. Ensuite, il vivra seul à la campagne et sera assassiné d’un coup de hache quelques mois avant la fin du conflit…

Car sa femme et son fils (leur deuxième enfant, encore bébé, n’a pas survécu), avec de faux papiers, sont partis pour la ville et, là, c’est l’obsession de sa mère de se fondre dans la masse, d’enlever de son langage toute expression yiddish, de se dire femme d’un soldat prisonnier polonais dont elle s’envoie de fausses lettres, d’inscrire son fils au catéchisme, de lui inculquer le secret (surtout, qu’il ne fasse pas pipi en public !) et la méfiance, etc.

Et l’enfant subit cela sans bien comprendre, note des situations bizarres ou burlesques avec une naïveté apparente et, finalement, déteste être juif ! À partir d’événements terrifiants, Henryk Grynberg garde un ton d’une extraordinaire acuité critique mais sans aucun manichéisme : le départ des Allemands et l’arrivée des Russes donne lieu à des passages surréalistes…

Victoire (Zwycięstwo, paru en 1969 à l’étranger puis revu en 1990) évoque alors (et, à nouveau, quelle dérision dans le titre !) l’immédiat après-guerre et les désillusions définitives devant l’antisémitisme (que, pourtant, le communisme était censée faire disparaître) toujours aussi infernal des Polonais.

De retour dans leur village, leur maison a été occupée et partagée en toute illégalité, personne ne se souvient de l’argent « prêté », ne sait qui a tué le père (aucune enquête n’est ouverte malgré leurs démarches), on les tient à part, des milices sévissent, il y a les troupes russes tout justes tolérées, les communistes polonais haïs, la déloyauté des juifs eux-mêmes entre eux, etc. Un effondrement total de toutes les valeurs, presque pire que la guerre ! Devant ces situations invivables les départs des juifs pour la Palestine, Israël ou ailleurs se multiplient…

Ces deux récits (un livre en fait unique) d’Henryk Grynberg, pourtant empreints d’une profonde et incommensurable humanité et d’un humour irrépressible et naturel, jamais pontifiants et, au contraire, d’une grande élégance de style, composent un témoignage intraitable et kafkaïen sur la destinée des juifs polonais, sur l’horrible et tragique condition qui leur fut faite. Il faut le lire absolument !

Michel Sender, La messagerie littéraire

  • Date de parution : 22 janvier 2009
  • ISBN : 9782907337564
  • 15,00 €
  • 14x19 cm
  • 256 pages